[Brexit] Anarchie à l’Horizon 2020 ?

La sortie du Royaume-Uni fait peser une forte hypothèque sur la bonne conduite des activités de R&D en Europe. Le Royaume-Uni est aujourd’hui massivement investi dans le programme Horizon 2020 de Recherche & Développement (H2020) mis en œuvre par la Commission Européenne. Un Brexit s’avère problématique à la fois pour les acteurs britanniques de la R&D mais aussi pour les tous autres acteurs européens avec lesquels ils collaborent.

White paper

Brexit et H2020: quel avenir ?

Un choc pour l’Espace Européen de la Recherche

Le séisme du Brexit nous laisse sans voix : comment imaginer l’Europe amputée de sa 2ème puissance économique, de sa « UK Tech », de ses prestigieuses universités qui bordent la Cam et la Tamise? Il semble pourtant bien qu’il faille se résoudre à la réalité d’un Brexit à plus ou moins brève échéance.

Le Royaume-Uni est certes resté en dehors de nombreuses politiques européennes au premier des rangs desquels figure Schengen et l’Euro, il en est en revanche tout autrement pour la politique de R&D. Le Royaume-Uni a en effet largement participé aux Programmes Cadres de Recherche Communautaires et de Développement Technologique (PCRDT) et ce depuis leurs créations en 1983. Le Royaume-Uni occupe aujourd’hui la 2ème place des pays bénéficiaires des subventions H2020. Depuis 2007, le pays a reçu près de €8.8 Milliards de subventions directes de la Commission Européenne au titre de ses projets R&D et n’a concédé que €5,4 Milliards de contribution. Le différentiel est donc sans appel.

Une inquiétude forte…

Aussi, l’inquiétude des chercheurs et entrepreneurs britanniques est désormais réelle : Ils craignent pour la survie de leurs projets. Lord Paul Drayson, ancien ministre de la recherche a d’ailleurs rappelé récemment devant le CERN que « The UK does fantastic science, but it does it through collaboration. »

Si une sortie sèche du Royaume-Uni de l’UE et de H2020 semble difficilement envisageable, la négociation nécessaire à la conclusion d’un nouvel accord laisse présager une participation dégradée à H2020 une fois l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne déclenché. Etant donné la complexité de la négociation (de par son caractère inédit et son ampleur) les 2 années pressenties pour la sortie seront certainement dépassées. Le peu d’entrain des britanniques pour déclencher l’article 50 laisse à penser qu’on s’oriente plutôt vers un Brexit effectif en 2019 voire 2020. Dès lors qu’adviendra-t-il de la participation britannique aux projets existants et comment envisager les modalités d’une participation britannique aux projets européens futurs?

Une participation britannique dégradée à moduler au fil des négociations…

Il convient de bien distinguer 3 séquences :

  • En tout état de cause, les britanniques pourront continuer de participer à H2020 dans les conditions normales jusqu’au déclenchement de l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne; tous les projets signés avec la Commission et ses agences exécutives avant cette date ou en cours d’exécution après celle-ci ne seront pas affectés. Certains craignent pour les projets en cours après le déclenchement de l’article 50 mais tous les projets H2020 sont budgétés à leur signature et font l’objet d’un pre-financing conséquent.
  • Après le déclenchement de l’article 50, dans la phase de négociation, le Royaume-Uni devrait pouvoir continuer de monter et de participer à de nouveaux projets H2020 à moins que les négociations dérapent et que le Royaume-Uni voit sa position dégradée en Etat tiers. Il pourrait néanmoins continuer de participer sous réserve de démonter l’apport indispensable de sa participation ( technique ou scientifique) à un projet H2020. Au cours des négociations, le Royaume-Uni parviendra peut être aussi à faire valoir un système proche de celui de la Suisse qui paye directement ses entreprises participant à H2020 sur une base « projet-par-projet » depuis les restrictions imposées par l’UE en 2014.
  • A l’issue des négociations, si aucun accord n’est trouvé, tout du moins sur la R&D, le Royaume-Uni n’aurait donc que ce statut d’état tiers avec une participation réduite à la portion congrue. Mais il semble raisonnable de penser que l’habile diplomatie britannique parvienne à obtenir un nouvel statut d’Etat associé sur la base de ceux obtenus par la Norvège ou la Suisse, comme le défendent d’ailleurs tous ceux qui pensent que bon gré mal gré on pourra s’accommoder du Brexit.

Un nouveau statut d’Etat associé espéré

Le plus simple serait en effet pour les britanniques d’aller vers ce statut d’association qui leur permettra un accès au marché unique, mais aussi de profiter des programmes de H2020 ou de son successeur. Cependant le statut d’association implique le respect des principes européens de libre circulation, de politique environnementale et climatique et bien entendu le paiement d’une contribution. Dans le contexte actuel, de telles contreparties semblent être difficiles à faire accepter aux britanniques. On s’oriente donc vers un statut ad-hoc d’autant plus long et difficile à négocier.

En tous cas, avec un statut d’Etat associé sur le modèle norvégien (dans le cadre de l’EEE), ou sur le modèle suisse (négociation bilatérale) ou bien même un statut ad-hoc, la position du Royaume-Uni serait fortement amoindrie dans la mesure où l’association ne lui permet pas de figurer dans les instances exécutives de l’Union qui décide de la programmation, et donc des choix des thématiques à privilégier. Le Brexit entrainera mécaniquement la fin de la participation du Royaume Uni aux Comités de Programmes qui établissent les programmes de travail (WP) de H2020 tous les 2 ans. Le Royaume-Uni perdra donc sa capacité d’influence pour insérer des topics favorables aux axes de recherches qu’il entend mener. Le Royaume-Uni s’apprête donc à négocier un statut d’association qu’il avait déjà dans les faits, à la différence qu’il ne pourra plus participer aux instances exécutives tout en étant toujours contraint de payer une contribution ! Le pragmatisme anglo-saxon nous avait habitués à mieux !

Il convient aussi de rappeler la difficulté de négocier un statut ad-hoc au regard de l’enlisement actuel des négociations avec la Suisse pour retrouver son statut d’Etat associé à H2020. La Suisse a en effet perdu son statut d’Etat associé suite au referendum suisse d’initiative populaire sur l’immigration de masse du 9 février 2014 et la non-signature du protocole de libre-circulation des personnes avec la Croatie. La Suisse est aujourd’hui un « Pays tiers industrialisé » avec certaines restrictions d’éligibilité et sans financement de l’UE. Elle parvient toutefois à participer à H2020 grâce à un fonds national qui finance directement la participation des entreprises suisses à H2020 mais sur un nombre limité d’instruments (restriction sur les bourses ERC et les MCA, pas de possibilité de postuler à un instrument PME ou FTI).

La réalité du Brexit semble bel et bien acquise aujourd’hui, 6 mois après la tenue du referendum, seule son amplitude reste incertaine, entre une nouvelle association qui préservait l’essentiel et un hard Brexit qui détruirait tout… Par la vertu du referendum on risque même d’avoir une petite Angleterre dans une Europe devenue peau de chagrin. En tout état de cause les 2 prochaines années dédiées à la négociation vont mobiliser beaucoup de ressources qui auraient pu être utilisées à meilleur escient, notamment pour faire de la science et de promouvoir l’innovation dans un cadre européen serein.

Benoit Merland
PNO Senior manager consultant