JuCIRprudence | Rejet du CIR malgré la validation d’une demande de rescrit JEI

Dans un arrêt du 26/05/2023 (CAA de Nantes du 26/05/2023, 21NT03506), la Cour Administrative d’Appel de Nantes a rejeté l’appel d’une entreprise qui considérait que la validation d’une demande de rescrit pour la validation de la qualification de Jeune Entreprise Innovante (JEI), avec un avis favorable émis par l’administration, lui indiquant qu’elle pouvait prétendre aux avantages fiscaux et sociaux attachés à cette qualification de JEI, avait pour effet de valider formellement l’éligibilité des travaux réalisés et des dépenses engagées par cette entreprise au Crédit d’Impôt Recherche (CIR).

Jucirprudence Rejet du CIR malgré la validation d’une demande de rescrit JEI

Les faits

De manière plus détaillée, la SAS BREIZH BUZZ, prestataire de services internet, a déclaré au CIR, au titre de 2013, une opération de développement de plateforme web collaborative et sociale à grande échelle permettant notamment l’édition simultanée entre plusieurs utilisateurs et par webcams interposées.

L’entreprise a déposé une demande de rescrit pour la validation de la qualification de JEI qui a été validée par la Direction Régionale à la Recherche et à la Technologie, sans que la décision Legifrance et les « articles » disponibles soient précis quant :

  • Aux années couvertes par la demande de rescrit JEI
  • Aux activités R&D présentées dans la demande de rescrit JEI, notamment si elles incluaient ou correspondaient totalement aux activités R&D déclarées et rejetées au titre des CIR 2013 et 2014
  • Au cadre (JEI ou CIR) dans lequel a été mandaté et a été effectué l’expertise mentionnée, la décision du CAA indiquant en outre que « l’expert avait au demeurant relevé un point de vigilance tenant à ce que les opérations liées à des métiers de développeur ne sont pas éligibles au crédit d’impôt recherche »

L’argumentation de l’administration

En 2016, elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des années 2013 à 2015. À l’issue de ce contrôle, l’administration a envoyé une proposition de rectification redressant les CIR 2013 et 2014, considérant que cette opération de développement de cette plate-forme, mise en ligne d’abord sous la forme d’un logiciel de prototypage baptisé Breizhworld en 2012 puis sous le nom A… B… en 2013 et Cloozi en 2014 :

  • Ne présentait pas de caractère nouveau et innovant dès lors qu’elle s’appuyait sur des travaux et des techniques accessibles (Symfony, WordPress, Etherpad lite et Opentok), même si elle intégrait un algorithme visant à modifier sensiblement le référencement généré par Google
  • Était mal documentée, les dossiers techniques étant indiqués comme peu documentés.

 

L’entreprise a mobilisé le Comité Consultatif du CIR, recours précontentieux, qui, dans son avis du 18/10/2018, a priori peu argumenté, a conclu que l’éligibilité au CIR des dépenses engagées en 2015 pour le développement de la plate-forme était établie. Or l’année 2015 n’est pas en litige, sachant que l’avis de ce comité reste « consultatif » et qu’il n’est pas indiqué s’il a aussi statué sur le CIR 2013/2014 et, le cas échéant, quel a été son avis.

Enfin, en 2021, l’entreprise a saisi le Tribunal Administratif de Rennes qui a rejeté sa demande et confirmé le redressement.

La vision de notre expert

Une demande de rescrit (avis préalable de l’administration) JEI ne vaut que pour les avantages liés à la qualification de JEI puisqu’il existe une possibilité de demande de rescrit CIR ou de rescrit fiscal plus général. La validation d’un rescrit, qui passe par une expertise, ici scientifique notamment quant au caractère R&D des activités présentées, est opposable à l’administration, qui ne peut donc plus revenir sur sa décision, mais sur le dispositif visé, ici la JEI. Cependant, il est rare d’observer une remise en question du CIR sur les mêmes années que la validation du rescrit JEI, surtout avec une éligibilité au CIR « du projet en question » confirmée par le Comité Consultatif du CIR, même si c’est sur le CIR 2015.

 

Mais, à l’analyse des documents disponibles, avec quelques imprécisions documentaires, sachant qu’il est très probable que l’entreprise fasse un recours en cassation devant le Conseil d’Etat, on peut :

S’interroger sur la correspondance entre les années couvertes par la demande de rescrit JEI et celles du CIR redressé et entre les activités techniques présentées dans cette demande de rescrit JEI, validées comme R&D après expertise, et le projet redressé. En effet, même si la validation du rescrit JEI ne vaut en rien validation du CIR, un redressement de CIR sur les mêmes activités, mêmes descriptions techniques et mêmes années serait surprenant.

Constater la « longue durée » de l’opération. En effet, il faut différencier le projet de l’entreprise et l’opération de R&D. Et, s’il n’est pas interdit de faire de la R&D dans le cadre d’opérations pluriannuelles, le cycle de R&D doit être en accord avec les pratiques du domaine, l’informatique, et le web en particulier, étant un domaine où les « choses vont vite ». Il faut donc savoir définir une opération de R&D avec des problématiques au périmètre bien défini et la « clore » dans un délai raisonnable, quitte à en « ouvrir » une autre avec des problématiques dans la continuité des précédentes, ce qui serait tout à fait logique pour une entreprise avec une activité donnée.

Remarquer les critiques faites quant aux nombreuses technologiques existantes utilisées. Et, là encore, même s’il n’est pas interdit d’utiliser des solutions existantes dans le cadre de R&D incrémentale, pratique courante notamment en informatique, il faut que l’opération et les travaux respectent les critères de la R&D et du CIR. Donc, si une partie relève de solutions existantes, faut-il qu’elles soient à la pointe, voire encore expérimentales, non totalement fiabilisées, peu documentées, voire détournées de leur usage standard. Mais, surtout, il faut que le travail relevant de leur identification, étude, expérimentation, comparaison/benchmark, intégration reste raisonnable par rapport au travail de développement spécifique du « reste » avec, si possible, un surcouchage, association, modification, amélioration des technologies en question.

Retenir l’importance de la qualité du dossier justificatif, qui doit bien défendre l’éligibilité des travaux par rapport au cadre d’éligibilité du CIR, en dehors de toute « autre » décision.

Noter le commentaire de l’expert sur les « développeurs ». L’expert veut peut-être faire mention de la nécessité, pour l’éligibilité au CIR, que l’opération soit dirigée par un « chercheur », diplômé ou assimilé, qui dispose d’une « hauteur de vue » scientifique en accord avec les critères de la R&D, notamment pour le travail amont de « conception » du logiciel, lui aussi, nécessaire à l’éligibilité de l’opération, avant de passer à la phase de développement/programmation/codage. C’est notamment ce qui différencie la R&D logicielle de l’ingénierie logicielle.

 

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