JuCIRprudence | Un cas de redressement au motif du manque de qualité de l’état de l’art et absences d’incertitudes scientifiques et techniques

Le Conseil d’État (9ème – 10ème chambres réunies, 26/07/2023, n° 466493 – Société Cap 2020 Consult) a donné raison à l’entreprise quant à l’éligibilité au CIR de dépenses de R&D qu’elle a sous-traitées, dans le cadre d’un marché qu’elle a conclu avec le CNES, auprès de plusieurs prestataires agréés CIR même si, en tant que donneuse d’ordre, elle n’en a pas personnellement supportée le coût avant d’être financé par le CNES, ce dernier ayant payé directement les sous-traitants.

jurisprudence redressement au motif du manque de qualité de l'état de l'art et absences d'incertitudes scientifiques et techniques

Les faits

L’entreprise, prestataire (agréée CIR de 2018 à 2023) de services spécialisés dans le design, la conception, le développement de pièces plastiques par injection pour divers secteurs, dont la cosmétique, a déclaré entre 75 et 80 k€ de CIR par an sur 2012 à 2014 pour respectivement 6, 11 et 9 projets. Elle s’est vu redresser son CIR dans le cadre d’un contrôle général de comptabilité, avec appel à une expertise par la Délégation Régionale à la Recherche et à la Technologie (DRRT), confirmé par le Comité Consultatif du CIR puis le Tribunal Administratif de Caen. Elle se plaint du fait que :

  • Elle aurait été privée d’un débat oral et contradictoire lors de la vérification de comptabilité
  • Elle aurait été traitée différemment d’une autre société menant les mêmes projets de recherche en méconnaissance du principe d’égalité devant l’impôt. La société Natta se prévalant de la validation de rescrits CIR (demande d’avis préalable à l’administration fiscale, avec expertise scientifique, sur le caractère R&D d’un projet) accordés à la SARL La Brosserie Française, postérieurement au contrôle en litige et uniquement pour 2 projets
  • Les dépenses en cause étaient éligibles au CIR

L’argumentation de l’administration fiscale

Sur le 1er point, le juge a confirmé qu’il y avait bien eu divers échanges durant la phase de contrôle.

Sur le 2ème point, sans qu’on sache comment Natta avait connaissance de ces rescrits, non publics, il résulte de l’instruction que les dossiers déposés par cette dernière étaient plus précis que ceux de Natta s’agissant de l’état de l’art, en ne se bornant pas à lister les brevets existants mais en décrivant les solutions existantes et leurs limites, ce qui permettait de situer les projets et leur apport scientifique, sachant que ces rescrits étaient postérieurs au contrôle en litige et uniquement pour 2 projets sur les 26 rejetés.

Sur le 3ème point, l’ensemble des « contrôles » ont particulièrement critiqué :

  • L’état de l’art de chaque projet, qui se limitait à « une liste de brevets » avec une analyse limitée qui « ne permettait pas de positionner les projets par rapport aux connaissances de l’homme de l’art et aux solutions existantes »
  • « La définition des incertitudes ou verrous, souvent confondue avec le cahier des charges produit », la levée des incertitudes devant permettre une avancée significative dans les connaissances et non pas seulement répondre à une demande client

 

La vision de notre expert

Au-delà des critiques de l’administration, globalement légitimes, on peut également noter :

Le statut de prestataire de Natta, déclarant le CIR qui, s’il n’empêche pas de déclarer du CIR soi-même, fait que l’entreprise n’a peut-être pas la vision et documentation technique globales pour juger de l’éligibilité et justifier techniquement dans de bonnes conditions des activités techniques déclarées dans le cadre de son CIR.

L’agrément CIR de Natta qui, logiquement, depuis la réforme de la Loi de Finances pour 2014, empêche tout prestataire agréé de déclarer du CIR sur des opérations de Recherche menées pour le compte de clients privés français, même si le client concerné ne déclare lui-même pas de CIR sur le projet concerné. Il existe une exception en cas de dépenses de R&D supérieures à la recette reçue du client, le formulaire CERFA 2069-A-SD prévoyant la possibilité d’alors déduire la recette perçue et de déclarer du CIR sur les dépenses restant à charge, ce que nous n’avons jamais vu dans les faits. Un prestataire peut seulement déclarer du CIR pour des activités R&D « internes » sur fonds propres ou des prestations pour des clients publics ou étrangers, tous deux inéligibles au CIR, empêchant donc tout risque de valorisation double au CIR des mêmes activités et dépenses. Et, pour revenir au cas de Natta, sa mention des rescrits CIR validés de la SARL La Brosserie Française, dont il a donc connaissance alors qu’ils ne sont pas publics et dont il se prévaut pour défendre l’éligibilité de ses activités déclarées au CIR, laisse à penser qu’il a été prestataire de cette entreprise et que ses activités de sous-traitance pour cette dernière font partie de ses activités déclarées, ce qui est normalement contraire à la règle.

 

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